mirror of
https://github.com/octoleo/restic.git
synced 2024-11-17 10:35:17 +00:00
2b39f9f4b2
Among others, this updates minio-go, so that the new "eu-west-3" zone for AWS is supported.
511 lines
26 KiB
Plaintext
511 lines
26 KiB
Plaintext
This file was derived from
|
||
http://www.gutenberg.org/cache/epub/4650/pg4650.txt
|
||
--------
|
||
|
||
CANDIDE,
|
||
|
||
ou
|
||
|
||
L'OPTIMISME,
|
||
|
||
TRADUIT DE L'ALLEMAND
|
||
|
||
DE M. LE DOCTEUR RALPH,
|
||
|
||
AVEC LES ADDITIONS
|
||
|
||
QU'ON A TROUV<55>0‡7ES DANS LA POCHE DU DOCTEUR, LORSQU'IL MOURUT
|
||
|
||
<20>0†8 MINDEN, L'AN DE GR<47>0‡0CE 1759
|
||
|
||
1759
|
||
|
||
|
||
|
||
CHAPITRE I.
|
||
|
||
Comment Candide fut ¨¦lev¨¦ dans un beau ch<63>0‰9teau, et comment il fut
|
||
chass¨¦ d'icelui.
|
||
|
||
Il y avait en Vestphalie, dans le ch<63>0‰9teau de M. le baron de
|
||
Thunder-ten-tronckh, un jeune gar<61>0Š4on ¨¤ qui la nature avait donn¨¦
|
||
les moeurs les plus douces. Sa physionomie annon<6F>0Š4ait son <20>0‰9me.
|
||
Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple;
|
||
c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. Les
|
||
anciens domestiques de la maison soup<75>0Š4onnaient qu'il ¨¦tait fils
|
||
de la soeur de monsieur le baron et d'un bon et honn¨ºte
|
||
gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais
|
||
¨¦pouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze
|
||
quartiers, et que le reste de son arbre g¨¦n¨¦alogique avait ¨¦t¨¦
|
||
perdu par l'injure du temps.
|
||
|
||
Monsieur le baron ¨¦tait un des plus puissants seigneurs de la
|
||
Westphalie, car son ch<63>0‰9teau avait une porte et des fen¨ºtres. Sa
|
||
grande salle m¨ºme ¨¦tait orn¨¦e d'une tapisserie. Tous les chiens
|
||
de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin; ses
|
||
palefreniers ¨¦taient ses piqueurs; le vicaire du village ¨¦tait
|
||
son grand-aum<75>0‹0nier. Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils
|
||
riaient quand il fesait des contes.
|
||
|
||
Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante
|
||
livres, s'attirait par l¨¤ une tr¨¨s grande consid¨¦ration, et
|
||
fesait les honneurs de la maison avec une dignit¨¦ qui la rendait
|
||
encore plus respectable. Sa fille Cun¨¦gonde, <20>0‰9g¨¦e de dix-sept
|
||
ans, ¨¦tait haute en couleur, fra<72>0Š6che, grasse, app¨¦tissante. Le
|
||
fils du baron paraissait en tout digne de son p¨¨re. Le
|
||
pr¨¦cepteur Pangloss[1] ¨¦tait l'oracle de la maison, et le petit
|
||
Candide ¨¦coutait ses le<6C>0Š4ons avec toute la bonne foi de son <20>0‰9ge et
|
||
de son caract¨¨re.
|
||
|
||
[1] De _pan_, tout, et _glossa_, langue. B.
|
||
|
||
|
||
Pangloss enseignait la m¨¦taphysico-th¨¦ologo-cosmolonigologie. Il
|
||
prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et
|
||
que, dans ce meilleur des mondes possibles, le ch<63>0‰9teau de
|
||
monseigneur le baron ¨¦tait le plus beau des ch<63>0‰9teaux, et madame
|
||
la meilleure des baronnes possibles.
|
||
|
||
Il est d¨¦montr¨¦, disait-il, que les choses ne peuvent ¨ºtre
|
||
autrement; car tout ¨¦tant fait pour une fin, tout est
|
||
n¨¦cessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez
|
||
ont ¨¦t¨¦ faits pour porter des lunettes; aussi avons-nous des
|
||
lunettes[2]. Les jambes sont visiblement institu¨¦es pour ¨ºtre
|
||
chauss¨¦es, et nous avons des chausses. Les pierres ont ¨¦t¨¦
|
||
form¨¦es pour ¨ºtre taill¨¦es et pour en faire des ch<63>0‰9teaux; aussi
|
||
monseigneur a un tr¨¨s beau ch<63>0‰9teau: le plus grand baron de la
|
||
province doit ¨ºtre le mieux log¨¦; et les cochons ¨¦tant faits pour
|
||
¨ºtre mang¨¦s, nous mangeons du porc toute l'ann¨¦e: par cons¨¦quent,
|
||
ceux qui ont avanc¨¦ que tout est bien ont dit une sottise; il
|
||
fallait dire que tout est au mieux.
|
||
|
||
[2] Voyez tome XXVII, page 528; et dans les _M¨¦langes_, ann¨¦e
|
||
1738, le chapitre XI de la troisi¨¨me partie des _<>0‡7l¨¦ments de la
|
||
philosophie de Newton_; et ann¨¦e 1768, le chapitre X des
|
||
_Singularit¨¦s de la nature_. B.
|
||
|
||
|
||
Candide ¨¦coutait attentivement, et croyait innocemment; car il
|
||
trouvait mademoiselle Cun¨¦gonde extr¨ºmement belle, quoiqu'il ne
|
||
pr<EFBFBD>0Š6t jamais la hardiesse de le lui dire. Il concluait qu'apr¨¨s
|
||
le bonheur d'¨ºtre n¨¦ baron de Thunder-ten-tronckh, le second
|
||
degr¨¦ de bonheur ¨¦tait d'¨ºtre mademoiselle Cun¨¦gonde; le
|
||
troisi¨¨me, de la voir tous les jours; et le quatri¨¨me, d'entendre
|
||
ma<EFBFBD>0Š6tre Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par
|
||
cons¨¦quent de toute la terre.
|
||
|
||
Un jour Cun¨¦gonde, en se promenant aupr¨¨s du ch<63>0‰9teau, dans le
|
||
petit bois qu'on appelait parc, vit entre des broussailles le
|
||
docteur Pangloss qui donnait une le<6C>0Š4on de physique exp¨¦rimentale
|
||
¨¤ la femme de chambre de sa m¨¨re, petite brune tr¨¨s jolie et tr¨¨s
|
||
docile. Comme mademoiselle Cun¨¦gonde avait beaucoup de
|
||
disposition pour les sciences, elle observa, sans souffler, les
|
||
exp¨¦riences r¨¦it¨¦r¨¦es dont elle fut t¨¦moin; elle vit clairement
|
||
la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et
|
||
s'en retourna tout agit¨¦e, toute pensive, toute remplie du d¨¦sir
|
||
d'¨ºtre savante, songeant qu'elle pourrait bien ¨ºtre la raison
|
||
suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi ¨ºtre la sienne.
|
||
|
||
Elle rencontra Candide en revenant au ch<63>0‰9teau, et rougit: Candide
|
||
rougit aussi . Elle lui dit bonjour d'une voix entrecoup¨¦e; et
|
||
Candide lui parla sans savoir ce qu'il disait. Le lendemain,
|
||
apr¨¨s le d<>0Š6ner, comme on sortait de table, Cun¨¦gonde et Candide
|
||
se trouv¨¨rent derri¨¨re un paravent; Cun¨¦gonde laissa tomber son
|
||
mouchoir, Candide le ramassa; elle lui prit innocemment la main;
|
||
le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle
|
||
avec une vivacit¨¦, une sensibilit¨¦, une gr<67>0‰9ce toute particuli¨¨re;
|
||
leurs bouches se rencontr¨¨rent, leurs yeux s'enflamm¨¨rent, leurs
|
||
genoux trembl¨¨rent, leurs mains s'¨¦gar¨¨rent. M. le baron de
|
||
Thunder-ten-tronckh passa aupr¨¨s du paravent, et voyant cette
|
||
cause et cet effet, chassa Candide du ch<63>0‰9teau ¨¤ grands coups de
|
||
pied dans le derri¨¨re. Cun¨¦gonde s'¨¦vanouit: elle fut soufflet¨¦e
|
||
par madame la baronne d¨¨s qu'elle fut revenue ¨¤ elle-m¨ºme; et
|
||
tout fut constern¨¦ dans le plus beau et le plus agr¨¦able des
|
||
ch<EFBFBD>0‰9teaux possibles.
|
||
|
||
|
||
|
||
CHAPITRE II
|
||
|
||
Ce que devint Candide parmi les Bulgares.
|
||
|
||
|
||
Candide, chass¨¦ du paradis terrestre, marcha longtemps sans
|
||
savoir o¨´, pleurant, levant les yeux au ciel, les tournant
|
||
souvent vers le plus beau des ch<63>0‰9teaux qui renfermait la plus
|
||
belle des baronnettes; il se coucha sans souper au milieu des
|
||
champs entre deux sillons; la neige tombait ¨¤ gros flocons.
|
||
Candide, tout transi, se tra<72>0Š6na le lendemain vers la ville
|
||
voisine, qui s'appelle _Valdberghoff-trarbk-dikdorff_, n'ayant
|
||
point d'argent, mourant de faim et de lassitude. Il s'arr¨ºta
|
||
tristement ¨¤ la porte d'un cabaret. Deux hommes habill¨¦s de bleu
|
||
le remarqu¨¨rent: Camarade, dit l'un, voil¨¤ un jeune homme tr¨¨s
|
||
bien fait, et qui a la taille requise; ils s'avanc¨¨rent vers
|
||
Candide et le pri¨¨rent ¨¤ d<>0Š6ner tr¨¨s civilement.--Messieurs, leur
|
||
dit Candide avec une modestie charmante, vous me faites beaucoup
|
||
d'honneur, mais je n'ai pas de quoi payer mon ¨¦cot.--Ah!
|
||
monsieur, lui dit un des bleus, les personnes de votre figure et
|
||
de votre m¨¦rite ne paient jamais rien: n'avez-vous pas cinq pieds
|
||
cinq pouces de haut?--Oui, messieurs, c'est ma taille, dit-il en
|
||
fesant la r¨¦v¨¦rence.--Ah! monsieur, mettez-vous ¨¤ table; non
|
||
seulement nous vous d¨¦fraierons, mais nous ne souffrirons jamais
|
||
qu'un homme comme vous manque d'argent; les hommes ne sont faits
|
||
que pour se secourir les uns les autres.--Vous avez raison, dit
|
||
Candide; c'est ce que M. Pangloss m'a toujours dit, et je vois
|
||
bien que tout est au mieux. On le prie d'accepter quelques ¨¦cus,
|
||
il les prend et veut faire son billet; on n'en veut point, on se
|
||
met ¨¤ table. N'aimez-vous pas tendrement?....--Oh! oui,
|
||
r¨¦pond-il, j'aime tendrement mademoiselle Cun¨¦gonde.--Non, dit
|
||
l'un de ces messieurs, nous vous demandons si vous n'aimez pas
|
||
tendrement le roi des Bulgares?--Point du tout, dit-il, car je ne
|
||
l'ai jamais vu.--Comment! c'est le plus charmant des rois, et il
|
||
faut boire ¨¤ sa sant¨¦.--Oh! tr¨¨s volontiers, messieurs. Et il
|
||
boit. C'en est assez, lui dit-on, vous voil¨¤ l'appui, le
|
||
soutien, le d¨¦fenseur, le h¨¦ros des Bulgares; votre fortune est
|
||
faite, et votre gloire est assur¨¦e. On lui met sur-le-champ les
|
||
fers aux pieds, et on le m¨¨ne au r¨¦giment. On le fait tourner ¨¤
|
||
droite, ¨¤ gauche, hausser la baguette, remettre la baguette,
|
||
coucher en joue, tirer, doubler le pas, et on lui donne trente
|
||
coups de b<>0‰9ton; le lendemain, il fait l'exercice un peu moins
|
||
mal, et il ne re<72>0Š4oit que vingt coups; le surlendemain, on ne lui
|
||
en donne que dix, et il est regard¨¦ par ses camarades comme un
|
||
prodige.
|
||
|
||
Candide, tout stup¨¦fait, ne d¨¦m¨ºlait pas encore trop bien comment
|
||
il ¨¦tait un h¨¦ros. Il s'avisa un beau jour de printemps de
|
||
s'aller promener, marchant tout droit devant lui, croyant que
|
||
c'¨¦tait un privil¨¨ge de l'esp¨¨ce humaine, comme de l'esp¨¨ce
|
||
animale, de se servir de ses jambes ¨¤ son plaisir. Il n'eut pas
|
||
fait deux lieues que voil¨¤ quatre autres h¨¦ros de six pieds qui
|
||
l'atteignent, qui le lient, qui le m¨¨nent dans un cachot. On lui
|
||
demanda juridiquement ce qu'il aimait le mieux d'¨ºtre fustig¨¦
|
||
trente-six fois par tout le r¨¦giment, ou de recevoir ¨¤-la-fois
|
||
douze balles de plomb dans la cervelle. Il eut beau dire que les
|
||
volont¨¦s sont libres, et qu'il ne voulait ni l'un ni l'autre, il
|
||
fallut faire un choix; il se d¨¦termina, en vertu du don de Dieu
|
||
qu'on nomme _libert¨¦_, ¨¤ passer trente-six fois par les
|
||
baguettes; il essuya deux promenades. Le r¨¦giment ¨¦tait compos¨¦
|
||
de deux mille hommes; cela lui composa quatre mille coups de
|
||
baguette, qui, depuis la nuque du cou jusqu'au cul, lui
|
||
d¨¦couvrirent les muscles et les nerfs. Comme on allait proc¨¦der
|
||
¨¤ la troisi¨¨me course, Candide, n'en pouvant plus, demanda en
|
||
gr<EFBFBD>0‰9ce qu'on voul<75>0‹4t bien avoir la bont¨¦ de lui casser la t¨ºte; il
|
||
obtint cette faveur; on lui bande les yeux; on le fait mettre ¨¤
|
||
genoux. Le roi des Bulgares passe dans ce moment, s'informe du
|
||
crime du patient; et comme ce roi avait un grand g¨¦nie, il
|
||
comprit, par tout ce qu'il apprit de Candide, que c'¨¦tait un
|
||
jeune m¨¦taphysicien fort ignorant des choses de ce monde, et il
|
||
lui accorda sa gr<67>0‰9ce avec une cl¨¦mence qui sera lou¨¦e dans tous
|
||
les journaux et dans tous les si¨¨cles. Un brave chirurgien
|
||
gu¨¦rit Candide en trois semaines avec les ¨¦mollients enseign¨¦s
|
||
par Dioscoride. Il avait d¨¦j¨¤ un peu de peau et pouvait marcher,
|
||
quand le roi des Bulgares livra bataille au roi des Abares.
|
||
|
||
|
||
|
||
CHAPITRE III.
|
||
|
||
Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il
|
||
devint.
|
||
|
||
|
||
Rien n'¨¦tait si beau, si leste, si brillant, si bien ordonn¨¦ que
|
||
les deux arm¨¦es. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les
|
||
tambours, les canons; formaient une harmonie telle qu'il n'y en
|
||
eut jamais en enfer. Les canons renvers¨¨rent d'abord ¨¤ peu pr¨¨s
|
||
six mille hommes de chaque c<>0‹0t¨¦; ensuite la mousqueterie <20>0‹0ta du
|
||
meilleur des mondes environ neuf ¨¤ dix mille coquins qui en
|
||
infectaient la surface. La ba<62>0Š7onnette fut aussi la raison
|
||
suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout
|
||
pouvait bien se monter ¨¤ une trentaine de mille <20>0‰9mes. Candide,
|
||
qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put
|
||
pendant cette boucherie h¨¦ro<72>0Š7que.
|
||
|
||
Enfin, tandis que les deux rois fesaient chanter des _Te Deum_,
|
||
chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs
|
||
des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts
|
||
et de mourants, et gagna d'abord un village voisin; il ¨¦tait en
|
||
cendres: c'¨¦tait un village abare que les Bulgares avaient br<62>0‹4l¨¦,
|
||
selon les lois du droit public. Ici des vieillards cribl¨¦s de
|
||
coups regardaient mourir leurs femmes ¨¦gorg¨¦es, qui tenaient
|
||
leurs enfants ¨¤ leurs mamelles sanglantes; l¨¤ des filles
|
||
¨¦ventr¨¦es apr¨¨s avoir assouvi les besoins naturels de quelques
|
||
h¨¦ros, rendaient les derniers soupirs; d'autres ¨¤ demi br<62>0‹4l¨¦es
|
||
criaient qu'on achev<65>0‰9t de leur donner la mort. Des cervelles
|
||
¨¦taient r¨¦pandues sur la terre ¨¤ c<>0‹0t¨¦ de bras et de jambes
|
||
coup¨¦s.
|
||
|
||
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village: il
|
||
appartenait ¨¤ des Bulgares, et les h¨¦ros abares l'avaient trait¨¦
|
||
de m¨ºme. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants
|
||
ou ¨¤ travers des ruines, arriva enfin hors du th¨¦<C2A8>0‰9tre de la
|
||
guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et
|
||
n'oubliant jamais mademoiselle Cun¨¦gonde. Ses provisions lui
|
||
manqu¨¨rent quand il fut en Hollande; mais ayant entendu dire que
|
||
tout le monde ¨¦tait riche dans ce pays-l¨¤, et qu'on y ¨¦tait
|
||
chr¨¦tien, il ne douta pas qu'on ne le trait<69>0‰9t aussi bien qu'il
|
||
l'avait ¨¦t¨¦ dans le ch<63>0‰9teau de M. le baron, avant qu'il en e<>0‹4t
|
||
¨¦t¨¦ chass¨¦ pour les beaux yeux de mademoiselle Cun¨¦gonde.
|
||
|
||
Il demanda l'aum<75>0‹0ne ¨¤ plusieurs graves personnages, qui lui
|
||
r¨¦pondirent tous que, s'il continuait ¨¤ faire ce m¨¦tier, on
|
||
l'enfermerait dans une maison de correction pour lui apprendre ¨¤
|
||
vivre.
|
||
|
||
Il s'adressa ensuite ¨¤ un homme qui venait de parler tout seul
|
||
une heure de suite sur la charit¨¦ dans une grande assembl¨¦e. Cet
|
||
orateur le regardant de travers lui dit: Que venez-vous faire
|
||
ici? y ¨ºtes-vous pour la bonne cause? Il n'y a point d'effet sans
|
||
cause, r¨¦pondit modestement Candide; tout est encha<68>0Š6n¨¦
|
||
n¨¦cessairement et arrang¨¦ pour le mieux. Il a fallu que je fusse
|
||
chass¨¦ d'aupr¨¨s de mademoiselle Cun¨¦gonde, que j'aie pass¨¦ par
|
||
les baguettes, et il faut que je demande mon pain, jusqu'¨¤ ce que
|
||
je puisse en gagner; tout cela ne pouvait ¨ºtre autrement. Mon
|
||
ami, lui dit l'orateur, croyez-vous que le pape soit
|
||
l'antechrist? Je ne l'avais pas encore entendu dire, r¨¦pondit
|
||
Candide: mais qu'il le soit, ou qu'il ne le soit pas, je manque
|
||
de pain. Tu ne m¨¦rites pas d'en manger, dit l'autre: va, coquin,
|
||
va, mis¨¦rable, ne m'approche de ta vie. La femme de l'orateur
|
||
ayant mis la t¨ºte ¨¤ la fen¨ºtre, et avisant un homme qui doutait
|
||
que le pape f<>0‹4t antechrist, lui r¨¦pandit sur le chef un
|
||
plein..... O ciel! ¨¤ quel exc¨¨s se porte le z¨¨le de la religion
|
||
dans les dames!
|
||
|
||
Un homme qui n'avait point ¨¦t¨¦ baptis¨¦, un bon anabaptiste, nomm¨¦
|
||
Jacques, vit la mani¨¨re cruelle et ignominieuse dont on traitait
|
||
ainsi un de ses fr¨¨res, un ¨ºtre ¨¤ deux pieds sans plumes, qui
|
||
avait une <20>0‰9me; il l'amena chez lui, le nettoya, lui donna du pain
|
||
et de la bi¨¨re, lui fit pr¨¦sent de deux florins, et voulut m¨ºme
|
||
lui apprendre ¨¤ travailler dans ses manufactures aux ¨¦toffes de
|
||
Perse qu'on fabrique en Hollande. Candide se prosternant presque
|
||
devant lui, s'¨¦criait: Ma<4D>0Š6tre Pangloss me l'avait bien dit que
|
||
tout est au mieux dans ce monde, car je suis infiniment plus
|
||
touch¨¦ de votre extr¨ºme g¨¦n¨¦rosit¨¦ que de la duret¨¦ de ce
|
||
monsieur ¨¤ manteau noir, et de madame son ¨¦pouse.
|
||
|
||
Le lendemain, en se promenant, il rencontra un gueux tout couvert
|
||
de pustules, les yeux morts, le bout du nez rong¨¦, la bouche de
|
||
travers, les dents noires, et parlant de la gorge, tourment¨¦
|
||
d'une toux violente, et crachant une dent ¨¤ chaque effort.
|
||
|
||
|
||
|
||
CHAPITRE IV.
|
||
|
||
Comment Candide rencontra son ancien ma<6D>0Š6tre de philosophie, le
|
||
docteur Pangloss, et ce qui en advint.
|
||
|
||
|
||
Candide, plus ¨¦mu encore de compassion que d'horreur, donna ¨¤ cet
|
||
¨¦pouvantable gueux les deux florins qu'il avait re<72>0Š4us de son
|
||
honn¨ºte anabaptiste Jacques. Le fant<6E>0‹0me le regarda fixement,
|
||
versa des larmes, et sauta ¨¤ son cou. Candide effray¨¦ recule.
|
||
H¨¦las! dit le mis¨¦rable ¨¤ l'autre mis¨¦rable, ne reconnaissez-vous
|
||
plus votre cher Pangloss? Qu'entends-je? vous, mon cher ma<6D>0Š6tre!
|
||
vous, dans cet ¨¦tat horrible! quel malheur vous est-il donc
|
||
arriv¨¦? pourquoi n'¨ºtes-vous plus dans le plus beau des ch<63>0‰9teaux?
|
||
qu'est devenue mademoiselle Cun¨¦gonde, la perle des filles, le
|
||
chef-d'oeuvre de la nature? Je n'en peux plus, dit Pangloss.
|
||
Aussit<EFBFBD>0‹0t Candide le mena dans l'¨¦table de l'anabaptiste, o¨´ il
|
||
lui fit manger un peu de pain; et quand Pangloss fut refait: Eh
|
||
bien! lui dit-il, Cun¨¦gonde? Elle est morte, reprit l'autre.
|
||
Candide s'¨¦vanouit ¨¤ ce mot: son ami rappela ses sens avec un peu
|
||
de mauvais vinaigre qui se trouva par hasard dans l'¨¦table.
|
||
Candide rouvre les yeux. Cun¨¦gonde est morte! Ah! meilleur des
|
||
mondes, o¨´ ¨ºtes-vous? Mais de quelle maladie est-elle morte? ne
|
||
serait-ce point de m'avoir vu chasser du beau ch<63>0‰9teau de monsieur
|
||
son p¨¨re ¨¤ grands coups de pied? Non, dit Pangloss, elle a ¨¦t¨¦
|
||
¨¦ventr¨¦e par des soldats bulgares, apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ viol¨¦e autant
|
||
qu'on peut l'¨ºtre; ils ont cass¨¦ la t¨ºte ¨¤ monsieur le baron qui
|
||
voulait la d¨¦fendre; madame la baronne a ¨¦t¨¦ coup¨¦e en morceaux;
|
||
mon pauvre pupille trait¨¦ pr¨¦cis¨¦ment comme sa soeur; et quant au
|
||
ch<EFBFBD>0‰9teau, il n'est pas rest¨¦ pierre sur pierre, pas une grange,
|
||
pas un mouton, pas un canard, pas un arbre; mais nous avons ¨¦t¨¦
|
||
bien veng¨¦s, car les Abares en ont fait autant dans une baronnie
|
||
voisine qui appartenait ¨¤ un seigneur bulgare.
|
||
|
||
A ce discours, Candide s'¨¦vanouit encore; mais revenu ¨¤ soi, et
|
||
ayant dit tout ce qu'il devait dire, il s'enquit de la cause et
|
||
de l'effet, et de la raison suffisante qui avait mis Pangloss
|
||
dans un si piteux ¨¦tat. H¨¦las! dit l'autre, c'est l'amour:
|
||
l'amour, le consolateur du genre humain, le conservateur de
|
||
l'univers, l'<27>0‰9me de tous les ¨ºtres sensibles, le tendre amour.
|
||
H¨¦las! dit Candide, je l'ai connu cet amour, ce souverain des
|
||
coeurs, cette <20>0‰9me de notre <20>0‰9me; il ne m'a jamais valu qu'un
|
||
baiser et vingt coups de pied au cul. Comment cette belle cause
|
||
a-t-elle pu produire en vous un effet si abominable?
|
||
|
||
Pangloss r¨¦pondit en ces termes: O mon cher Candide! vous avez
|
||
connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste baronne:
|
||
j'ai go<67>0‹4t¨¦ dans ses bras les d¨¦lices du paradis, qui ont produit
|
||
ces tourments d'enfer dont vous me voyez d¨¦vor¨¦; elle en ¨¦tait
|
||
infect¨¦e, elle en est peut-¨ºtre morte. Paquette tenait ce
|
||
pr¨¦sent d'un cordelier tr¨¨s savant qui avait remont¨¦ ¨¤ la source,
|
||
car il l'avait eu d'une vieille comtesse, qui l'avait re<72>0Š4u d'un
|
||
capitaine de cavalerie, qui le devait ¨¤ une marquise, qui le
|
||
tenait d'un page, qui l'avait re<72>0Š4u d'un j¨¦suite, qui, ¨¦tant
|
||
novice, l'avait eu en droite ligne d'un des compagnons de
|
||
Christophe Colomb. Pour moi, je ne le donnerai ¨¤ personne, car
|
||
je me meurs.
|
||
|
||
O Pangloss! s'¨¦cria Candide, voil¨¤ une ¨¦trange g¨¦n¨¦alogie!
|
||
n'est-ce pas le diable qui en fut la souche? Point du tout,
|
||
r¨¦pliqua ce grand homme; c'¨¦tait une chose indispensable dans le
|
||
meilleur des mondes, un ingr¨¦dient n¨¦cessaire; car si Colomb
|
||
n'avait pas attrap¨¦ dans une <20>0Š6le de l'Am¨¦rique cette maladie[1]
|
||
qui empoisonne la source de la g¨¦n¨¦ration, qui souvent m¨ºme
|
||
emp¨ºche la g¨¦n¨¦ration, et qui est ¨¦videmment l'oppos¨¦ du grand
|
||
but de la nature, nous n'aurions ni le chocolat ni la cochenille;
|
||
il faut encore observer que jusqu'aujourd'hui, dans notre
|
||
continent, cette maladie nous est particuli¨¨re, comme la
|
||
controverse. Les Turcs, les Indiens, les Persans, les Chinois,
|
||
les Siamois, les Japonais, ne la connaissent pas encore; mais il
|
||
y a une raison suffisante pour qu'ils la connaissent ¨¤ leur tour
|
||
dans quelques si¨¨cles. En attendant elle a fait un merveilleux
|
||
progr¨¨s parmi nous, et surtout dans ces grandes arm¨¦es compos¨¦es
|
||
d'honn¨ºtes stipendiaires bien ¨¦lev¨¦s, qui d¨¦cident du destin des
|
||
¨¦tats; on peut assurer que, quand trente mille hommes combattent
|
||
en bataille rang¨¦e contre des troupes ¨¦gales en nombre, il y a
|
||
environ vingt mille v¨¦rol¨¦s de chaque c<>0‹0t¨¦.
|
||
|
||
[1] Voyez tome XXXI, page 7. B.
|
||
|
||
|
||
Voil¨¤ qui est admirable, dit Candide; mais il faut vous faire
|
||
gu¨¦rir. Et comment le puis-je? dit Pangloss; je n'ai pas le sou,
|
||
mon ami, et dans toute l'¨¦tendue de ce globe on ne peut ni se
|
||
faire saigner, ni prendre un lavement sans payer, ou sans qu'il y
|
||
ait quelqu'un qui paie pour nous.
|
||
|
||
Ce dernier discours d¨¦termina Candide; il alla se jeter aux pieds
|
||
de son charitable anabaptiste Jacques, et lui fit une peinture si
|
||
touchante de l'¨¦tat o¨´ son ami ¨¦tait r¨¦duit, que le bon-homme
|
||
n'h¨¦sita pas ¨¤ recueillir le docteur Pangloss; il le fit gu¨¦rir ¨¤
|
||
ses d¨¦pens. Pangloss, dans la cure, ne perdit qu'un oeil et une
|
||
oreille. Il ¨¦crivait bien, et savait parfaitement
|
||
l'arithm¨¦tique. L'anabaptiste Jacques en fit son teneur de
|
||
livres. Au bout de deux mois, ¨¦tant oblig¨¦ d'aller ¨¤ Lisbonne
|
||
pour les affaires de son commerce, il mena dans son vaisseau ses
|
||
deux philosophes. Pangloss lui expliqua comment tout ¨¦tait on ne
|
||
peut mieux. Jacques n'¨¦tait pas de cet avis. Il faut bien,
|
||
disait-il, que les hommes aient un peu corrompu la nature, car
|
||
ils ne sont point n¨¦s loups, et ils sont devenus loups. Dieu ne
|
||
leur a donn¨¦ ni canons de vingt-quatre, ni ba<62>0Š7onnettes, et ils se
|
||
sont fait des ba<62>0Š7onnettes et des canons pour se d¨¦truire. Je
|
||
pourrais mettre en ligne de compte les banqueroutes, et la
|
||
justice qui s'empare des biens des banqueroutiers pour en
|
||
frustrer les cr¨¦anciers. Tout cela ¨¦tait indispensable,
|
||
r¨¦pliquait le docteur borgne, et les malheurs particuliers font
|
||
le bien g¨¦n¨¦ral; de sorte que plus il y a de malheurs
|
||
particuliers, et plus tout est bien. Tandis qu'il raisonnait,
|
||
l'air s'obscurcit, les vents souffl¨¨rent des quatre coins du
|
||
monde, et le vaisseau fut assailli de la plus horrible temp¨ºte, ¨¤
|
||
la vue du port de Lisbonne.
|
||
|
||
|
||
CHAPITRE V.
|
||
|
||
Temp¨ºte, naufrage, tremblement de terre, et ce qui advint du
|
||
docteur Pangloss, de Candide, et de l'anabaptiste Jacques.
|
||
|
||
La moiti¨¦ des passagers affaiblis, expirants de ces angoisses
|
||
inconcevables que le roulis d'un vaisseau porte dans les nerfs et
|
||
dans toutes les humeurs du corps agit¨¦es en sens contraires,
|
||
n'avait pas m¨ºme la force de s'inqui¨¦ter du danger. L'autre
|
||
moiti¨¦ jetait des cris et fesait des pri¨¨res; les voiles ¨¦taient
|
||
d¨¦chir¨¦es, les m<>0‰9ts bris¨¦s, le vaisseau entr'ouvert. Travaillait
|
||
qui pouvait, personne ne s'entendait, personne ne commandait.
|
||
L'anabaptiste aidait un peu ¨¤ la manoeuvre; il ¨¦tait sur le
|
||
tillac; un matelot furieux le frappe rudement et l'¨¦tend sur les
|
||
planches; mais du coup qu'il lui donna, il eut lui-m¨ºme une si
|
||
violente secousse, qu'il tomba hors du vaisseau, la t¨ºte la
|
||
premi¨¨re. Il restait suspendu et accroch¨¦ ¨¤ une partie de m<>0‰9t
|
||
rompu. Le bon Jacques court ¨¤ son secours, l'aide ¨¤ remonter, et
|
||
de l'effort qu'il fait, il est pr¨¦cipit¨¦ dans la mer ¨¤ la vue du
|
||
matelot, qui le laissa p¨¦rir sans daigner seulement le regarder.
|
||
Candide approche, voit son bienfaiteur qui repara<72>0Š6t un moment, et
|
||
qui est englouti pour jamais. Il veut se jeter apr¨¨s lui dans la
|
||
mer: le philosophe Pangloss l'en emp¨ºche, en lui prouvant que la
|
||
rade de Lisbonne avait ¨¦t¨¦ form¨¦e expr¨¨s pour que cet anabaptiste
|
||
s'y noy<6F>0‰9t. Tandis qu'il le prouvait _¨¤ priori_, le vaisseau
|
||
s'entr'ouvre, tout p¨¦rit ¨¤ la r¨¦serve de Pangloss, de Candide, et
|
||
de ce brutal de matelot qui avait noy¨¦ le vertueux anabaptiste;
|
||
le coquin nagea heureusement jusqu'au rivage, o¨´ Pangloss et
|
||
Candide furent port¨¦s sur une planche.
|
||
|
||
Quand ils furent revenus un peu ¨¤ eux, ils march¨¨rent vers
|
||
Lisbonne; il leur restait quelque argent, avec lequel ils
|
||
esp¨¦raient se sauver de la faim apr¨¨s avoir ¨¦chapp¨¦ ¨¤ la temp¨ºte.
|
||
|
||
A peine ont-ils mis le pied dans la ville, en pleurant la mort de
|
||
leur bienfaiteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs
|
||
pas[1]; la mer s'¨¦l¨¨ve en bouillonnant dans le port, et brise les
|
||
vaisseaux qui sont ¨¤ l'ancre. Des tourbillons de flammes et de
|
||
cendres couvrent les rues et les places publiques; les maisons
|
||
s'¨¦croulent, les toits sont renvers¨¦s sur les fondements, et les
|
||
fondements se dispersent; trente mille habitants de tout <20>0‰9ge et
|
||
de tout sexe sont ¨¦cras¨¦s sous des ruines. Le matelot disait en
|
||
sifflant et en jurant: il y aura quelque chose ¨¤ gagner ici.
|
||
Quelle peut ¨ºtre la raison suffisante de ce ph¨¦nom¨¨ne? disait
|
||
Pangloss. Voici le dernier jour du monde! s'¨¦criait Candide.
|
||
Le matelot court incontinent au milieu des d¨¦bris, affronte la
|
||
mort pour trouver de l'argent, en trouve, s'en empare, s'enivre,
|
||
et ayant cuv¨¦ son vin, ach¨¨te les faveurs de la premi¨¨re fille de
|
||
bonne volont¨¦ qu'il rencontre sur les ruines des maisons
|
||
d¨¦truites, et au milieu des mourants et des morts. Pangloss le
|
||
tirait cependant par la manche: Mon ami, lui disait-il, cela
|
||
n'est pas bien, vous manquez ¨¤ la raison universelle, vous prenez
|
||
mal votre temps. T¨ºte et sang, r¨¦pondit l'autre, je suis matelot
|
||
et n¨¦ ¨¤ Batavia; j'ai march¨¦ quatre fois sur le crucifix dans
|
||
quatre voyages au Japon[2]; tu as bien trouv¨¦ ton homme avec ta
|
||
raison universelle!
|
||
|
||
|
||
[1] Le tremblement de terre de Lisbonne est du 1er novembre 1755.
|
||
B.
|
||
|
||
[2] Voyez tome XVIII, page 470. B.
|
||
|
||
|
||
Quelques ¨¦clats de pierre avaient bless¨¦ Candide; il ¨¦tait ¨¦tendu
|
||
dans la rue et couvert de d¨¦bris. Il disait ¨¤ Pangloss: H¨¦las!
|
||
procure-moi un peu de vin et d'huile; je me meurs. Ce
|
||
tremblement de terre n'est pas une chose nouvelle, r¨¦pondit
|
||
Pangloss; la ville de Lima ¨¦prouva les m¨ºmes secousses en
|
||
Am¨¦rique l'ann¨¦e pass¨¦e; m¨ºmes causes, m¨ºmes effets; il y a
|
||
certainement une tra<72>0Š6n¨¦e de soufre sous terre depuis Lima jusqu'¨¤
|
||
Lisbonne. Rien n'est plus probable, dit Candide; mais, pour
|
||
Dieu, un peu d'huile et de vin. Comment probable? r¨¦pliqua le
|
||
philosophe, je soutiens que la chose est d¨¦montr¨¦e. Candide
|
||
perdit connaissance, et Pangloss lui apporta un peu d'eau d'une
|
||
fontaine voisine.
|
||
|
||
Le lendemain, ayant trouv¨¦ quelques provisions de bouche en se
|
||
glissant ¨¤ travers des d¨¦combres, ils r¨¦par¨¨rent un peu leurs
|
||
forces. Ensuite ils travaill¨¨rent comme les autres ¨¤ soulager
|
||
les habitants ¨¦chapp¨¦s ¨¤ la mort. Quelques citoyens, secourus
|
||
par eux, leur donn¨¨rent un aussi bon d<>0Š6ner qu'on le pouvait dans
|
||
un tel d¨¦sastre: il est vrai que le repas ¨¦tait triste; les
|
||
convives arrosaient leur pain de leurs larmes; mais Pangloss les
|
||
consola, en les assurant que les choses ne pouvaient ¨ºtre
|
||
autrement: Car, dit-il, tout ceci est ce qu'il y a de mieux; car
|
||
s'il y a un volcan ¨¤ Lisbonne, il ne pouvait ¨ºtre ailleurs; car
|
||
il est impossible que les choses ne soient pas o¨´ elles sont, car
|
||
tout est bien.
|
||
|
||
Un petit homme noir, familier de l'inquisition, lequel ¨¦tait ¨¤
|
||
c<EFBFBD>0‹0t¨¦ de lui, prit poliment la parole et dit: Apparemment que
|
||
monsieur ne croit pas au p¨¦ch¨¦ originel; car si tout est au
|
||
mieux, il n'y a donc eu ni chute ni punition.
|
||
|
||
Je demande tr¨¨s humblement pardon ¨¤ votre excellence, r¨¦pondit
|
||
Pangloss encore plus poliment, car la chute de l'homme et la
|
||
mal¨¦diction entraient n¨¦cessairement dans le meilleur des mondes
|
||
possibles. Monsieur ne croit donc pas ¨¤ la libert¨¦? dit le
|
||
familier. Votre excellence m'excusera, dit Pangloss; la libert¨¦
|
||
peut subsister avec la n¨¦cessit¨¦ absolue; car il ¨¦tait n¨¦cessaire
|
||
que nous fussions libres; car enfin la volont¨¦ d¨¦termin¨¦e......
|
||
Pangloss ¨¦tait au milieu de sa phrase, quand Je familier fit un
|
||
signe de t¨ºte ¨¤ son estafier qui lui servait ¨¤ boire du vin de
|
||
Porto ou d'Oporto.
|